samedi 17 mai 2014

Godzilla, chef d'oeuvre atomique [Analyse et avis]

Attention ! Cette critique contient de nombreux spoilers sur le film !

Nous y voilà, le film événement de l’année est sorti cette semaine en salle. Marquant le soixantième anniversaire de Godzilla, le nouveau film a été confié à Gareth Edwards, ancien des effets spéciaux, réalisateur du très réussi film de science-fiction indépendant Monsters et probable future étoile montante du cinéma hollywoodien. Alors qu’il doit remettre au goût du jour une franchise prolifique, respecter un genre rare et codifié, préparer une potentielle nouvelle saga et assurer le spectacle et la qualité d’un film, Godzilla a-t-il les épaules de ses folles ambitions ?


S’ouvrant sur un générique qui rappelle les bonnes heures du kaiju eiga, distillant subtilement le mystère du film, les enjeux sont posés durant le premier tiers du film qui joue sur une certaine sobriété. Ici les origines du monstres se rapprochent du film de 1954, soit il s’agit d’un véritable monstre préhistorique se nourrissant des radiations nucléaires, réveillé par les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki. La vraie originalité réside dans le traitement fait au lézard par le passé, si l’on regrette légèrement le fait qu’il ne soit pas rattaché à la continuité du premier film, la surprise vient de la réécriture historique voulant que les essais nucléaires américains des années 50, et plus particulièrement la bombe Castle Bravo larguée en 1954 (année de sortie du premier Godzilla qui en fut une réponse) aient été effectuées afin de détruire la menace potentielle représentée par Godzilla. Le film commence donc par une excellente et originale idée, permettant de contextualiser directement les événements pour pouvoir embrayer sans tarder sur le cœur du sujet. En 1999 (année du retour de Godzilla sur les écrans nippons, clin d’œil ?), une poche d’uranium est découverte, mais celle-ci abrite en réalité les restes fossilisés d’un énorme monstre et de son parasite ayant causé sa mort, c’est l’occasion à la fois de distiller de nouvelles informations concernant les mystères de ces monstres géants qui seront résolus dans la deuxième partie du film et de nous présenter les personnages de Sally Hawkins et Ken Watanabe dans une scène aux teintes sombres et à l’ambiance singulière.

Mais cette première partie du film est aussi l’occasion de dévoiler les personnages-clés d’un film aux premières allures de drame familial sur fond de monstres géants. En cela le film se veut comme un digne successeur des films à spectacle généreux, forts en émotions et profondément humains, à l’image des films de Steven Spielberg et des productions Amblin. La famille est contextualisé en trente secondes, et c’est tout ce qu’il faut car la scène est réalisée habilement pour faire comprendre les relations qu’entretient la famille. Vient ensuite l’un des passages-clés du film duquel découlera ses événements, la mort de la femme dans une scène prenante par sa simplicité et sa radicalité lorsque les portes se referment inéluctablement, Sandra Brody, clé de voûte de l’équilibre de la famille qui se brisera à la disparition de la figure maternelle. C’est ce que montre le film par la suite lorsqu’il traitera de la relation père/fils, tous deux motivés des suites de ce drame mais agissant de façon différente. De là à penser le fait sous-jacent que Godzilla soit l‘envoyé de mère-nature afin de rétablir l’équilibre du monde, il n’y a qu’un pas.

D’ailleurs, les monstres représentent les kaiju dans tout ce qu’ils ont de plus significatif et renvoie à la nature même du mot dont l’origine japonaise de « monstre géant » et différente d’une vision occidentale du monstre comme créature malveillante mais signifie une force de la nature, ni bonne ni mauvaise. Et c’est cela que représentent les monstres du film que ce soit Godzilla, symbole d’une nature reprenant ses droits sur l’espèce humaine avec perte et fracas mais dans le but de rééquilibrer la balance, ou les MUTO qui eux imagent les effets du nucléaire incontrôlé et rappellent les retombés mal maîtrisées des essais nucléaires, tout en symbolisant par leurs pouvoirs magnétiques la peur d’une déperdition technologique dans un avenir plus ou moins proche. Le message étant certes différent de ce que voulait faire passer Inoshiro Honda dans le film original de 1954, mais n’en est pas moins complémentaires et tout aussi pertinent quoique moins virulent, mais servi avec une simplicité et une authenticité rare et plus enfoui dans le fond du film qui nécessite de la réflexion pour en tirer sa substance profonde.

Le premier tiers du film est rythmé par la chasse du MUTO des deux personnages principaux Joe et Ford Brody, incarnés respectivement par Bryan Cranston (MalcolmBreaking Bad) et Aaron « Kick-Ass » Taylor-Johnson, ce dernier est militaire expert en désarmement de bombes et dans son comportement suit les traces de son père, à savoir privilégier son travail à sa vie familiale et sa femme Ellie joue elle aussi le rôle clé de cette famille. D’ailleurs l’actrice Lizzie Olsen doit accomplir l’exploit de caractériser son rôle sur une seule scène pour pouvoir se rapprocher elle aussi de la figure maternelle en ajoutant une touche de féminité et doit captiver suffisamment pour que le spectateur puisse s’inquiéter dans ses scènes ultérieurs qui seront d’ailleurs pas mauvaises en soi et même plutôt sobres et justes, mais n’apporteront rien quant à l’évolution du personnage. Cranston possède probablement le personnage le plus passionnant et émouvant. Il va chercher à connaître la vérité cachée par les autorités japonaises, à l’instar du héros de Rencontre du Troisième Type, concernant l’incident de la centrale s’étant effondré dans la région de Tokyo et causant la mort de sa femme. Dévasté, cette quête rédemptrice est moins pour trouver ce qui s’est réellement passé dans cette centrale mais pour pouvoir faire son deuil, ce qui transparaît dans le jeu admirable et tout en nuances de l’acteur qui possède une diction incroyable, on boit chacune de ses paroles. Entre temps son fils cherchera à renouer les liens distendus depuis longtemps allant jusqu’à l’aider dans sa quête. C’est l’occasion ainsi de passer par une superbe scène au sein d’une banlieue de Tokyo où la nature a repris ses droits, baignée d’une lumière à peine visible et pourtant tellement présente, comme une prémonition du rôle de Godzilla dans le film. Et symboliquement, le père se laisse mourir lorsqu’il a accompli la « mission », la scène est âpre et crue et traite la mort de façon naturaliste. Elle marque la fin du premier acte, comme pour passer le relais à son fils à même d’arrêter la menace qui a causé la mort de sa mère et qui pourrait causer celle de sa femme et de son fils.


L’apparition du premier MUTO marque aussi le début des véritables festivités. Le passage de son éclosion dans les ruines de la centrale réhabilitée afin de le confiner impressionne, le suspense est intense et la gestion de la lumière parfaitement maîtrisé, on nous scotche une première fois à notre siège. Car oui tous les passages de monstres sont une incroyable réussite. L’une des bonnes idées est de toujours retranscrire ces passages comme si le spectateur était au cœur de la scène, qu’il la voyait avec ses propres yeux, ainsi l’implication est renforcée et nous sommes livrés face à une expérience visuelle extraordinaire comme le cinéma en produit peu. On vit au rythme des séquences intensément, j’étais cramponné à ma copine et la bouche ouverte en vibrant à chaque coup lourd et puissant asséné, à chaque pas faisant presque trembler la salle, à chaque apparition jubilatoire du roi des monstres poussant la joie presque primaire lorsqu’il use enfin de façon magistrale de son souffle atomique, allant enfin jusqu’à décapiter le MUTO. A noter aussi une superbe gestion de l’environnement sonore, encore une fois contribuant à nous plonger dans le film. Ajoutons la partition d’Alexandre Desplat qui prend de nombreuses inspirations au kaiju eiga, certains passages rappelant les sublimes thèmes composés par Akira Ikufube, mais surtout des films de monstres classiques tels que Le Monde Perdu de 1925, King Kong, Jurassic Park, et dont les percussions et envolées répondent directement à ce qui se déroule sous nos yeux. On regrettera tout de même de ne pas entendre, ne serait-ce que lors du générique de fin, la fameuse Godzilla’s March, bien que certains passages y fassent fortement penser. 


Aussi Edwards s’inspire encore une fois des grands films fantastiques et de suspense d’antan, et surtout ceux de Spielberg comme Jurassic Park et les Dents de la Mer (le nom de Brody étant une allusion directe) dans sa mise en scène, jouant constamment sur une certaine pudeur lors des apparitions du monstre pour faire naître aussi bien l’angoisse que la fascination, et lorsque à terme on nous dévoile les monstres dans une immense scène de baston qui couvre quasiment tout le dernier tiers du film, on ne tient plus en place et l’enthousiasme m’a alors envahi face à ce spectacle à la beauté brute, comme un diamant non taillé. Godzilla représente pour moi le Jurassic Park des années 2010, et j’espère sincèrement qu’il restera autant dans les mémoires que son illustre aîné.

Le deuxième tiers du film sert donc à préparer le dernier acte, mais se veut aussi comme une mise en abîme du film. Le personnage de Ford commence ainsi à prendre son ampleur et se veut comme un homme moyen (même si certes militaire) motivé avant tout par l’idée de protéger sa famille. Taylor-Johnson peut ainsi laisser plus libre cours à ses expressions et son émotions, par exemple lorsqu’il est confronté au danger, Edwards détournant habilement le suspense en nous faisant nous inquiéter non pas pour le héros qui on le sait ne mourra pas de sitôt, mais pour les personnages qu’il tente de sauver. Alors le rôle n’est peut-être pas celui qui demande le plus de performance d’acteur et il est parfois écrit avec de gros sabots, mais l’acteur nous livre un jeu admirable dans son contexte. On voit enfin apparaître Godzilla lors de la surprenante attaque d’Hawaï et encore une fois, les bonnes idées de mise en scène se comptent à foison, notamment avec le traitement de l’arrivée du monstre, comme s’il s’agissait d’une véritable catastrophe naturelle. La surprise vient du fait que, poussant son concept de l’action vue à travers les yeux des hommes, la bataille se conclut devant un poste de télévision, retranscrit par une chaîne d’information. L’idée ne plaira pas à tout le monde, mais elle a le mérite d’être originale et diablement bien introduite, tout en nous rappelant que finalement, nous faisons la même chose au quotidien. Narrativement il s’agit probablement du chapitre le plus faible du film, malgré deux scènes intenses et éprouvantes, celle d’Hawaï et la stressante embuscade du MUTO sur le train, nous assistons à quelques tunnels explicatifs qui sont certes nécessaires pour l’avancée de l’intrigue et indispensable à la compréhension de tous les enjeux, mais auraient pu être plus ludique. Ils sont souvent donnés par le docteur Daisuke Serizawa interprété par Ken Watanabe qui reste un personnage assez monolithique, sorte d’érudit ayant toujours un coup d’avance, mais le rôle appelle à ça et s’inscrit bien dans le concept du film. Ainsi l’armée va commencer à prendre les choses en main et son traitement est lui aussi réaliste, évitant certains clichés, s’engouffrant dans d’autres mais restant toujours tout à fait crédible aussi bien dans ses agissements comme ses décisions à l’instar de la volonté de renvoyer une bombe nucléaire à la tronche des monstres, comme si l’humanité répétait en boucle ses propres erreurs. Et c’est cela aussi l’autre message important que veut faire passer le film qui nous montre cette tendance qu’a l’humanité à reproduire ses erreurs à toute échelle, en usant de la bombe sans maîtriser les conséquences ni être sûr de son effet, en cachant de potentielles menaces sous prétexte qu’elles ne se sont pas encore manifester ou en sacrifiant sa famille pour sa vie professionnelle. Mais la fin de celui-ci nous montre la bombe exploser au loin après de vaines tentatives de désamorçage de la part du héros (on oubliera l’invraisemblance concernant les radiations…), le monstre auparavant vu comme un danger se débarrasser de la menace pour l’équilibre planétaire et par extension pour la race humaine, et la famille complète et réunie, le film finissant ainsi par une note d’espoir et cherche à nous dire avec une candeur salvatrice qu’il ne tient qu’à nous de ne pas reproduire les erreurs du passé et de nos aînés.

Enfin, le troisième acte mise sur le rythme sans faille et privilégie l’action pour un final réjouissant et jubilatoire. L’arrivée de Godzilla sur le pont prend des considérations incroyables et nous laisse bouche-bée par sa maîtrise et sa grandeur. On voit enfin les monstres sous toutes leurs coutures se foutrent joyeusement sur la gueule. Abordons le look et le comportement de ceux-ci, fort bien réussis. On voit déjà une antinomie véritablement apparente et palpable entre les deux prédateurs naturels, les MUTO et Godzilla. Les MUTO sont des sortes d’insectoïdes à l’apparence racée et aux traits anguleux inspirant dès leur première apparition une certaine frayeur. Avec leurs reflets rouges due à l’énergie électromagnétiques leur parcourant le corps, ils rappellent directement les kaiju de Pacific Rim et leurs couleurs vives, mais aussi plus étonnement le monstre Gigan du bestiaire de la Toho, dans les traits de la gueule avec leur bec et leurs yeux mis en avant par des bandes rougeâtres et avec leurs pattes fourchues ressemblant étrangement à des lames. Ils sont considérés comme des parasites et cherchent à se reproduire, ainsi ils ont un comportement réalistes d’animaux, ce à quoi répond Godzilla lui est représenté quasiment comme une divinité. Big G possède un aspect rugueux et immense, comme si une montagne prenait vie, il est d’ailleurs fidèle à son design japonais et se rattache à son passé, de plus la volonté du réalisateur était de le montrer tantôt comme étant véritablement effrayant et menaçant, tantôt comme une créature plus paisible afin de créer de l’empathie pour le monstre-titre (d’où cette impression parfois de gros chien), dans tous les cas il s’agit probablement du meilleur compromis possible, entre respect et réactualisation. Il cherche donc à rétablir l’équilibre de la planète, tel un Dieu se souciant peu des humains et des dégâts qu’il peut causer. Leurs apparitions sont toujours savamment orchestrées, faisant monter la tension en les entrapercevant avant de les faire apparaître et se battre dans toute leur majesté, assumant pleinement son héritage du kaiju eiga en nous proposant des batailles dantesques et pleines de rebondissements, dont rien n’en réchappe indemne. Et Gareth Edwards profite de cette dernière partie pour libérer tout son art, faisant de chaque plan de véritables fresques, filmant les monstres, les ruines avec une telle splendeur, rare et précieuse. Finalement, le roi des monstres est au final présenté comme un monstre bienveillant ayant sauvé l’humanité, si ce traitement s’oppose tout de même à ce que nous a montrer le film jusque là, nous proposant une sorte de Divinité ni bonne ni mauvaise mais dévastant tout sur son passage lorsque cela est nécessaire, Edwards a l’audace de prendre le spectateur à contre-pied et de clôturer son film de manière optimiste sur une image iconique d’un Godzilla victorieux retournant vers les flots.

Le Godzilla de Gareth Edwards est donc au final un film qui certes divisera, mais il est à l’image de son monstre, grandiose et spectaculaire, qui s’illustre comme étant le blockbuster Alpha tout en gardant son intelligence et nous proposant un message simple mais offert avec une sincérité touchante, qui nous fait vite oublier ses quelques défauts. Godzilla est de retour et marque le véritable renouveau du kaiju eiga et d’un cinéma que l’on pensait oublié, le grand spectacle émouvant et humain.

5/5


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